Cet article reprend (avec son autorisation) une partie de l’analyse écrite par Florent Grouin, cofondateur de l’association Daskor pour la promotion de la littérature bretonne, qui a été publiée dans la revue littéraire n°6 de Daskor. Retrouvez aussi l’interview de Daskor publiée en 2013 sur Culture Bretagne.
Peu de gens sont capables de dire de quand date la première trace écrite en langue bretonne. A vrai dire si on pose la question dans la rue, une grande majorité des gens sont même persuadés que le breton n’est pas une langue écrite. Combien de fois m’arrive-t-il d’entendre « le breton c’est un patois, c’est uniquement oral il n’y a pas d’écriture en breton ». Ce cliché complètement absurde est malheureusement partagé par beaucoup de Bretons eux-mêmes.
Oui le Breton est bien une langue écrite
Nous ne parlerons pas ici des centaines d’oeuvres littéraires écrites en langue bretonne depuis des siècles, mais de la plus ancienne inscription en langue bretonne…
La plus vieille trace écrite en breton est l’inscription de Lomarec, son origine est estimée au VIème siècle, et elle est considérée à l’heure actuelle comme la plus ancienne trace écrite du breton.
Cette inscription est présente à l’intérieur d’un sarcophage de la chapelle Saint-André de Lomarec, elle même située sur la commune de Crac’h en pays vannetais.
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Cette inscription est : « IRHA EMA * IN RI ».
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Elle signifie « Ici repose le roi » (voir l’interprétation détaillée). Le nom du roi en question était probablement indiqué sur le couvercle disparu du sarcophage. L’étoile correspond à la gravure d’un Chrisme (symbole chrétien courant à cette époque).
Une grande importance pour la langue bretonne
Cette incription est d’une grande importance historique, aussi bien pour la langue bretonne que pour l’analyse des inscriptions mortuaires de l’époque.
1- Il s’agit de l’inscription en breton la plus ancienne, peut-être en terme d’âge (sans certitude), et très clairement en terme d’ancienneté des formes linguistiques utilisées. la forme « ri » par exemple pour « roi » est très intéressante. Elle est identique au vieil-irlandais « ri », et est bien antérieure à l’emprunt (très lourd de signification) du breton médiéval « roue » au français « roy ».
2- La présence de l’inscription à l’intérieur d’un sarcophage est très rare. Le seul autre cas historiquement recensé date du VIème siècle dans un sarcophage romain. De plus, le fait que cette inscription soit en breton et non pas en latin comme c’était l’usage à l’époque, dénote l’importance de la langue bretonne
3- Si les Chrismes sont assez courant à cette époque, les Chrismes au milieu de phrase sont beaucoup plus rares, et la forme de ce Chrisme est encore plus rare voir même unique. La forme de ce Chrisme est identique à certains symboles de « rouelle celtique » sans le cercle qui l’entoure.
Des interprétations différentes
Même si le sens global de cette phrase est évident de part les inscriptions équivalentes de l’époque dans d’autres langues, son interprétation littéraire exacte est plus nuancée. Elle nous pose aujourd’hui plusieurs problèmes.
1- La différenciation des mots n’est pas claire en raison du manque de place pour la gravure. Différentes interprétations sont possibles selon qu’on considère que « IRHA » est un seul mot ou deux mot « IR HA », idem pour « INRI » ou « IN RI ».
2- La langue bretonne de cette époque est la plus ancienne dont nous ayons trace, mais elle n’est pas assez documentée et différentes hypothèses sont possibles en tenant compte de son ancêtre (le brittonique) et des autres langues celtiques de l’époque (cornique, gallois, irlandais…)
3- Sauf dans de très rares cas, le Chrisme ne fait pas partie intégrante du vocabulaire, il n’a habituellement qu’un rôle de symbole ou tout au plus se substitue-t’il à une ponctuation. Il est en général situé hors de la phrase, mais dans le cas de Lomarec il ne s’agit pas de ponctuation, et sa position en milieu de phrase qui n’est donc pas des plus courantes pose des questions.
Théodore Hersart De la Villemarqué à la fin du 19ème siècle a donné l’interprétation suivante
IR (de) HA (qui) EMA (est) * (Jésus-Christ) IN (en) RI (roi)
-> Dans son interprétation, La Villemarqué donne un rôle dans la phrase au Chrisme. Cette interprétation ne semble pas aujourd’hui être la plus correcte.
Léon Fleuriot à la fin du 20ème siècle donne une interprétation semblant plus correcte aujourd’hui
IRHA (est enterré) EMA (ici, adverbe de situation au VIème siècle) IN (le) RI (Roi)
Même si la traduction exacte ne sera probablement jamais possible, on peut donc dire aujourd’hui que l’inscription indique la tombe d’un roi, et que le sens correct est « Ici repose le roi ».
La tombe du légendaire roi Waroc’h
Le nom du roi ayant disparu, il y a de grande chance que l’on ne soit jamais sûr de connaître le propriétaire de ce tombeau. Au sixième siècle, 4 grand chefs bretons en pays vannetais étaient considérés comme des rois (selon la définition de l’époque d’un roi).
- Waroc’h, mort en 550.
- Canao, fil de Waroc’h, mort en 560.
- Conomor, Beau-fils de Waroc’h marié à sa fille Sainte Tréphine, Comte de Poher et roi de Domnonée, mort vers 560.
- Macliau, fil de Waroc’h, mort en 577.
Waroc’h était un roi breton combattif qui a donné son nom au pays vannetais en breton « Browarog » ou « Broerec ». Il est mort vers l’an 550, l’hypothèse la plus couramment admise est qu’il s’agit de son tombeau.
Une inscription bien antérieure au premier texte en français
Pour la petite histoire, le premier texte en français date de 842, soit plus de 3 siècle après les plus anciens écrits en breton. Ce plus ancien texte en français est le serment de Strasbourg. Il faut tout de même signaler que même s’il est considéré comme le premier écrit en français, il a en réalité été écrit dans une langue romane aujourd’hui incompréhensible en français.
« d’ist di in avant, in quant Deus savir et podir me dunat, si salvarai eo cist meon fradre Karlo et in aiudha et in cadhuna cosa » (extrait du serment de Strasbourg)
La comparaison peut paraître peu judicieuse aux yeux de certains, d’un côté une phrase en breton, de l’autre tout un texte en « français ». Mais c’est justement l’ancienneté de la langue bretonne qui fait que les plus vieux écrits sont de simple phrases ou mots. Le breton est une langue qui a plus de 2000 ans, les premières traces écrites dont nous disposons aujourd’hui ne sont donc pas les plus anciennes qui aient existées, mais simplement les plus anciennes qui ont pu être conservées, et en conséquence il ne s’agit donc que de phrases ou de mots.
Maintenant que vous êtes au courant, partagez cet article afin de mettre fin aux légendes urbaines circulant au sujet de la langue bretonne !
Le manuscrit de Leyde, un fragment d’un traité de médecine en latin comportant une page en langue bretonne datant du IX eme siècle est également antérieur au serment de strasbourg et présente un intérêt linguistique supérieur à l’inscription de Lomarec.
Oui en effet le manuscrit de Leyde comporte des mots en vieux-breton, mais attention ce n’est justement pas un texte en breton, mais un texte en latin dans lequel il y a une trentaine de mots en breton.
Il est également important pour la langue bretonne, mais dans un autre registre, on ne peut pas vraiment parler d’intérêt supérieur.
Sans compter que le manuscrit de Leyde n’est absolument pas daté, il est peut-être postérieur au serment de starbourg nous n’en savons malheureusement rien à l’heure actuelle.
La 2eme partie *INRI*, est inscrite au sommet de la croix de Jesus et signifie jesus de nazareth, roi des juifs. En plus dans une chapelle…… Mais bon, dans tous les cas c’est antérieur au français.
Cette possibilité a été écartée il y a bien longtemps, le In RI n’a pas de rapport avec INRI, d’autant plus que l’inscription n’est justement pas en latin.
C’est peut-être un faux débat dans la mesure où pour le VIe siècle le vieux breton n’est pas encore vraiment différencié du brittonique et ne le sera guère qu’à partir du Xe siècle ; de la même manière que le roman n’était pas encore différencié du bas latin pendant une bonne partie du Haut Moyen Age. Il en va de même pour le manuscrit de Leyde : ses derniers éditeurs, Falileyev et Owen, ont avancé l’hypothèse d’une origine cornique plutôt que bretonne armoricaine mais il est là aussi très difficile de trancher pour une période haute.
Quand au « premier » roi Waroch on n’est pas du tout assuré de son existence suggérée par des textes hagiographiques postérieurs de plusieurs siècles. Le Waroch que l’ont connaît le mieux est celui mentionné par Grégoire de Tours à de multiples reprises, le fils de Macliau et donc le neveu de Canao. Suite à une faide avec la dynastie de Budic de Cornouaille son père et son frère Iacob avaient été tués, Waroch parviendra au pouvoir et deviendra célèbre suite aux multiples raids lancés dans les comtés de Rennes et de Nantes, alors sous obédience franque. Il s’empare de la ville de Venetis/Vannes qui avait échappé jusque là aux Bretons (et les habitants s’en plaignent d’ailleurs). Le roi Gontran envoie deux armées contre lui, menées par les ducs Beppolène et Ebrachaire, qui firent l’erreur de se séparer. Beppolène et ses hommes sont vaincus dans les marais entre Oust et Vilaine. Waroch se soumet à Ebrachaire et l’accueille à Vannes puis une fois le duc parti brise ses voeux ; l’armée franque se livrant à divers pillages sur le chemin du retour et Ebrachaire finissant en disgrâce.
Le règne de Waroch se situe dans le dernier tiers du VIe siècle. Son fils Canao lui succède a priori.
L’évolution « naturelle » d’une langue (en opposition à contruite comme pour le français) pose toujours problème pour définir à partir de quand on estime qu’une langue en devient une autre, car évidemment cela se fait au fur et à mesure.
Le vieux-breton a commencé à se différencier du brittonique justement au 5ème siècle, même si la constitution d’une langue unique a pris plusieurs siècle, on peut à juste titre considérer cette inscription comme étant en vieux-breton.
Il faut bien sûr rapprocher cela du contexte des migrations bretonnes sur la petite Bretagne….
Demat
Il existe également à Goméné l’inscription des Aulnays , gravée sur une roche granitique en vieux-breton estimé du 6e s.
Oui en effet, impossible de savoir à l’heure actuelle laquelle des deux est la plus ancienne, c’est pour cela qu’on précise que Lomarec est « l’inscription en breton la plus ancienne, peut-être en terme d’âge (sans certitude), et très clairement en terme d’ancienneté des formes linguistiques utilisées ».
A-t-on les formes anciennes du toponyme Lomarec? Il peut s’agir d’une évolution phonétique de Loc+Marc’hec. En effet, la consonne finale de LOC chute habituellement devant une autre consonne: on n’entend pas LoKmaria, mais Lo’Mari; Loctudy se dit Lo’Tudy. Quant à Marc’hec, le R a tendance à occulter le /x/, d’autant que ce dernier tend vers /h/ dans cette position.
La dernière demeure de ce RI serait donc signalée par la toponymie.
Peut-être est-ce aussi le cas de l’Île Chevalier, traduction exacte de Gwivarc’h, et qui s’appelle Enez Sant Mark en Breton, une Christianisation vraisemblabe de… Marc’h!
Cet article m’a intéressée, mais je regrette qu’il y ait des fautes d’orthographe ! Souhaitez-vous que je les corrige?
Gildas Bernier suggérait pour Lomarec une idendification du deuxième terme avec la formule de révérence « Mo-Waroch » . (la formule en « to » est plus fréquente en vieux-breton, « Mo » en vieil irlandais)
Ya, Sant M’Hervon nepell diouzh Roazhon….
Le texte des serments de Strasbourg est incompréhensible pour un français mais il est facilement compréhensible pour quelqu’un qui sait parler occitan, catalan ou même pour un italien