Les plus vieux enregistrements sonores en breton datent de juillet 1900. Ils dormaient dans les archives de la Bibliothèque nationale de France (BNF), oubliés au milieu de documents non classifiés. Une douzaine d’enregistrements en breton sur des rouleaux de cire (chansons, contes, évangiles), qui ont heureusement été redécouverts presque par hasard en 2018. Leurs très bonnes conditions de conservation à la BNF ont permis de les numériser.
Ces enregistrements sont maintenant disponibles au public (Les plus vieux enregistrements en breton retrouvés après 120 ans), suite à leur numérisation et au travail d’enquête mené par le journaliste breton Tudi Crequer.
Voici donc l’un de ces enregistrements sonores, avec sa transcription en breton et sa traduction en français.
Le plus vieil enregistrement sonore en breton
Cet enregistrement contient donc la lecture de la Parabole de l’enfant prodigue (tiré de l’évangile selon Luc), ainsi que du vocabulaire de base en breton (les couleurs et les nombres). Il est enregistré par une Bretonne du Léon.
Le fichier Audio : L’enfant prodigue, les couleurs et nombres en breton
La transcription du texte en breton et sa traduction en français
(La parabole de l’enfant prodigue en premier lieu)
Un den en doa daou vab. An hini yaouankañ a lavaras d’e dad : Ma zad, roit din al lodenn eus ar madoù a zle degouezhout din. Hag an tad a bartajas e vadoù etrezint.
(Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : mon père, donne-moi la part de bien qui doit me revenir. Et le père leur partagea son bien.)
Hag un nebeud devezhioù goude, ar mab yaouank-se o vezañ dastumet kement a oa dezhañ, a yeas kuit d’ur vro bell hag a zispignas eno e beadra o vevañ en dizurzh.
(Peu de jours après, le plus jeune fils, ayant tout ramassé, partit pour un pays éloigné, où il dissipa son bien en vivant dans la débauche.)
Pa en doe dispignet kement hen devoa, e c’hoarvezas ur gernez vras er vro-se hag e komañsas bezañ en dienez.
(Lorsqu’il eut tout dépensé, une grande famine survint dans ce pays, et il commença à se trouver dans le besoin.)
Hag o vezañ aet ac’hane, en em lakaas da vevel gant unan eus a dud ar vro-se, hag hemañ a gasas anezhañ d’e zouaroù da ziwall ar moc’h.
(Il alla se mettre au service d’un des habitants du pays, qui l’envoya dans ses champs garder les cochons.)
C’hoant hen devoa bet da derriñ he naon gant ar boued a zebre ar moc’h; met den ne roe dezhañ.
(Il aurait bien voulu se rassasier des caroubes que mangeaient les pourceaux, mais personne ne lui en donnait.)
O vezañ eta antreet ennañ e-unan, e lavaras: Pegement a vevelien a zo e ti va zad, hag o deus bara ar pezh a garont, ha me a zo o vervel gant an naon!
(Étant rentré en lui-même, il se dit : Combien de serviteurs chez mon père ont du pain en abondance, et moi, ici, je meurs de faim !)
Sevel a rin, hag ez in da gavout va zad, hag e lavarin dezhañ: Va zad, pec’het em eus a-enep an neñv hag a-enep dit; ha n’on ket ken dign da vezañ galvet da vab. Gra din evel da unan eus da vevelien.
(Je me lèverai, j’irai vers mon père, et je lui dirai : Mon père, j’ai péché contre le ciel et contre toi, je ne suis plus digne d’être appelé ton fils ; traite-moi comme l’un de tes serviteurs.)
En em lakaat a reas eta en hent hag e teuas etrezek e dad. Hogen, pa oa c’hoazh pell, e dad a welas anezhañ, hag en doe truez outañ, hag o teredek d’e gavout, e lammas gantañ hag e pokas dezhañ.
(Et il se leva, et alla vers son père. Comme il était encore loin, son père le vit et fut ému de compassion, il courut se jeter à son cou et le baisa.)
Hag e vab a lavaras dezhañ: Va zad, pec’het em eus a-enep an neñv hag a-enep dit, ha n’on ket dign mui da vezañ galvet da vab.
(Le fils lui dit : Mon père, j’ai péché contre le ciel et contre toi, je ne suis plus digne d’être appelé ton fils.)
Met an tad a lavaras d’e servijerien: Degasit ar sae gaerañ ha gwiskit he dezhañ, ha lakait dezhañ ur walenn war e viz hag ur botoù en e dreid,
(Mais le père dit à ses serviteurs : Apportez vite la plus belle robe, et l’en revêtez ; mettez-lui un anneau au doigt, et des souliers aux pieds.)
ha degasit al leue lart, ha lazhit anezhañ, ha debromp hag en em rejouissomp,
(Amenez le veau gras, et tuez-le. Mangeons et réjouissons-nous 😉
rak ar mab-mañ din a oa marv hag eo deuet d’ar vuhez.
(car mon fils que voici était mort, et il est revenu à la vie.)
(le vocabulaire de base en breton)
Ruz (Rouge)
Melen (Jaune)
Gwer (Vert)
Glas (Bleu)
Mouk (Violet)
Gwenn (Blanc)
Du (Noir)
Unan, ur (Un : Le chifre et l’article)
div, daou (Deux : au féminin et au masculin)
tri, teir (Trois : au masculin et au féminin)
pevar, peder (Quatre : au masculin et au féminin)
pemp (Cinq)
c’hwec’h (Six)
seizh (Sept)
eizh (Huit)
nav (Neuf)
dek (Dix)
unnek (Onze)
daouzek (Douze)
trizek (Treize)
pevarzek (Quatorze)
pemzek (Quinze)
Voir aussi : Apprendre les couleurs en breton
En savoir plus sur le collectage
Nous sommes en 1900, le médecin et anthropologue Léon Azoulay a un projet un peu fou. Il veut profiter de l’Exposition universelle de Paris en juillet 1900, et de ses 50 millions de visiteurs du monde entier, afin de voyager dans les différents pavillons et enregistrer les voix des peuples du monde entier avec son phonographe. Parmi les 50 millions de participants, de nombreux Bretons, poètes, chanteurs, conteurs, écrivains, dont certains offriront leur voix à la postérité grâce à ces enregistrements inestimables.
« Ainsi pourra-t-on sauver de la mort la voix des peuples eux-mêmes morts »
Léon Azoulay, juin 1940, discours devant la Société d’anthropologie de Paris
Il a ainsi pu capturer sur des rouleaux de cire des témoignages sonores de la langue bretonne, qui sont à l’heure actuelle les plus anciens enregistrements sonores en breton dont nous disposons.
Les autres enregistrements sonores en breton
François Vallée fin juillet 1900
Avant la découverte de ces enregistrements, les plus anciens témoignages sonores de breton étaient attribués au travail de collectage effectué par le linguiste breton François Vallée en juillet 1900 également, seulement quelques jours après le collectage de Léon Azoulay. Une réelle coïncidence, car c’est sans jamais avoir entendu parler du travail effectué à Paris par Léon Azoulay quelques jours auparavant, que François Vallée réalise grâce à son phonographe une trentaine d’enregistrements fin juillet 1900. Pendant plus d’un siècle, ces enregistrements furent utilisés par les linguistes et
Les camps de prisonniers en Allemagne en 1916
Cinq autres enregistrements en breton comptent aussi parmi les plus anciens au monde. Ils datent de 1916, et sont entreposés au musée ethnographique de Berlin depuis cette époque. Les enregistrements ont été réalisés auprès de Bretons fait prisonniers par les Allemands lors de la première guerre mondiale.
Emouvant!
Dudius-kenañ, trugarez deoc’h / Très intéressant, merci à vous.
Pegen plijus, fromus ha dedennus eo klevout un enrolladenn a-seurt-se! Un testeni istorel ha yezhoniel eus ar c’hentañ evit pep brezhoneger a zo, na petra ‘ta. Un dudi!
Dedennus kenañ.
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Sklaer eo koulskoude ez eo lennet an destenn-se (ur barabolenn vrudet a vez kavet en Aviel) gant al Leonadez. Daoust hag e oa ar yezh -se hini implijet war ar bemdez gant al Leoniz, er mare-mañ?
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Très intéressant. Merci d’avoir indiqué le breton écrit, correspondant à cet enregistrement oral.
Il est évident cependant que la femme lit un texte (la très célèbre parabole de l’Enfant Prodigue que l’on trouve dans les Evangiles). Celà ne nous dit pas si la langue écrite, présentée ici, lue et comprise par la femme, présente un écart à la langue orale employée au quotidien en Léon à l’époque.
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Cela donne à penser aussi que les écrits religieux en breton, ont contribué à maintenir la connaissance de la langue, dans la population au fil des siècles passés. Cette réalité n »est pas toujours perçue, loin s’en faut, dans les milieux des défenseurs de la langue aujourd’hui. S’il existe du « brezhoneg beleg » (du breton de prêtre, de qualité médiocre par le vocabulaire ou la graphie) dans l’histoire du breton écrit, il est évident également que la littérature religieuse (textes scripturaires ou liturgiques, cantiques) a eu un grand rôle dans la transmission du breton écrit.
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Une conclusion, importante, au moins s’impose: le breton écrit, dit « littéraire », était compris par les gens du peuple.
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Gant ma gendalc’ho ar brezhoneg hag ar Feiz e Breizh!
Il y avait forcément une différence entre l’écrit et l’oral, comme à toutes les époques et pour toutes les langues. Mais cela ne change pas grand-chose ni à la prononciation, ni au fait que les bretonnants de l’époque comprenaient ce texte, savaient le lire, et que nous les comprenons sans souci aujourd’hui encore plus d’un siècle après.
Menegomp e vez kavet en destenn-mañ gerioù hag a ro deomp un tañva eus ar brezhoneg beleg, just a-walc’h. Bez e c’hellfe ar gerioù-se bezañ cheñchet da vrezhoneg a-hirio (bravoc’h ha reizhoc’h, lakomp):
a bartajas
e komañsas
dign
en em rejouissomp
Ar pep pouesusañ: fromus e chom an enroladenn-mañ, ha talvoudus-kenañ evit istor ar yezh.
Cheñchet int bet dija, troidigezh an aviel a cheñch alies e brezhoneg evel e galleg.
Très intéressant.