Marc Mosnier, la Bretagne au bout des pinceaux
Marc Mosnier est un illustrateur breton hyperréaliste. Licencié en droit, ce Nantais a quitté sa Bretagne natale pour Paris où il vit et travaille aujourd’hui. A 49 ans dont 23 passés à illustrer, Marc Mosnier a plus d’une corde à son arc :
– Illustrateur dans l’édition pour les plus grands noms (Larousse, Hachette, Rageot, Denoël, Gallimard…) ainsi que pour le monde musical ( pochettes CD )
– Créateur d’affiches pour des évènements culturels ou commerciaux.
– Concepteur de logos d’entreprises bretonnes ou parisiennes, ainsi que de blasons familiaux pour des particuliers.
– Illustrateur des légendes celtiques à travers une série de cartes postales.
– Professeur d’illustration à Sup de Pub Paris,
– Et bénévole pour les logos et affiches d’associations bretonnes à Paris comme l’école Diwan (école par immersion en langue bretonne).
L’illustrateur se lance aujourd’hui dans une série de douze images consacrées aux grands personnages historiques de la Bretagne.
Présentation de Marc Mosnier
Culture Bretagne : Bonjour Marc, déjà pour commencer, n’ai-je rien oublié dans cette longue liste pour te présenter ?
Marc Mosnier : Rien ne semble avoir été oublié ! En revanche, le qualificatif d’hyperréaliste ne s’applique qu’à une petite partie de mon travail. Je cherche même désormais à m’éloigner définitivement de ce style, pour évoluer vers plus d’abstraction. Peindre une coupe en cristal avec tous les reflets ne présente guère d’intérêt dès lors qu’on se sait capable de le faire ! Le dessin au trait, en noir et blanc ou en couleurs m’attire davantage.
Je vois une autre précision, très importante, à ajouter : je travaille à l’ancienne. Mes outils sont mes pinceaux et mon aérographe. J’utilise de la peinture, des encres, de la toile, du papier. Dans un monde dominé par l’outil informatique, c’est devenu assez rare pour pouvoir être souligné. Il est certain que l’ordinateur permet de travailler vite et proprement, ce qui pour un illustrateur est capital, compte tenu des délais imposés par les clients. Malgré cela, je préfère m’obstiner dans ma voie traditionnelle. j’aime l’odeur des tubes, le contact avec les matières, le bruit du pinceau quand on le rince dans son godet., et au final créer une pièce unique , l’original . Lors d’une expo, les spectateurs peuvent ainsi s’émouvoir, observer la petite touche déposée sur la toile, se demander où l’illustrateur a hésité, s’est trompé et a recommencé. C’est aussi ça l’illustration !
Un travail qui se recentre sur la Bretagne
CB : Tes priorités ont changé durant ta carrière, et ces dernières années tu as réalisé beaucoup d’illustrations sur la Bretagne chez Yoran embanner ou pour des associations bretonnes, est ce un tournant important dans ta carrière ?
« Je me suis clairement rapproché de la Bretagne par ma production à défaut de pouvoir le faire géographiquement. »
MM : Effectivement, ces dernières années m’ont vu me rapprocher clairement de la Bretagne par ma production à défaut de pouvoir le faire géographiquement. Les choses se sont faites naturellement. Mon univers a toujours été celtique, fantastique, peuplé de créatures végétales et de granits recouverts de lichens. Une de mes premières couvertures , “ The Hollowing “, réalisée pour Denoël, est cent pour cent bretonne à bien y regarder ! Illustrer pour la Bretagne était au fond inéluctable.
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CB : Tu as un rythme de réalisation important qui doit représenter énormément d’heures de travail, comment répartis- tu ton temps entre toutes ces activités et ta vie privée ?
« Cela devient de plus en plus difficile pour moi de trouver du temps pour travailler bénévolement pour des causes importantes, mais je me force à le faire, par principe. »
MM : Oui, je peins de façon minutieuse et ce métier “précieux” m’accapare totalement. Je travaille du soir au matin, tous les jours de l’année. Heureusement, comme beaucoup d’illustrateurs, mon domicile est également mon atelier, donc la vie privée n’en souffre pas. Elle se confond tout simplement avec mon travail. J’ai pu illustrer et m’occuper de ma famille. C’est un gros avantage. Pour ce qui est du temps consacré à chaque client , là également, il n’est jamais réparti de façon très précise. En théorie, je traite les commandes dans l’ordre où elles arrivent. En réalité, je fais presque toujours plusieurs choses en même temps. Pendant que je réalise une exécution à la peinture, je construis le crayonné d’une seconde image et cherche une idée pour une troisième . Parfois j’interromps mon travail en cours pour prendre un travail “urgent” qui tombe. Difficile donc de chronométrer. Cela surprend souvent les gens, mais je n’ai jamais été capable de dire le nombre d’heures passées sur une image. Seul l’enseignement, par ses horaires fixes, apporte un peu de régularité dans mon emploi du temps. Enfin, concernant le travail que j’offre bénévolement, lorsqu’une cause me parait importante , j’avoue que cela devient de plus en plus difficile pour moi de trouver du temps quand par ailleurs les clients “réguliers” s’impatientent. Mais je me force à le faire, par principe.
Des éditeurs bretons plus humains et enrichissants
CB : Pourquoi travailler pour des « petits » éditeurs bretons, on s’imagine que c’est bien plus confortable, rémunérateur, et même reconnu de travailler pour des grands éditeurs parisiens ?
« Avec les petits éditeurs bretons on avance dans la confiance, l’amitié et bien sûr le sérieux (…) Aucune rémunération avantageuse ne pourra jamais remplacer cela. »
MM : Pour un illustrateur, il n’y a pas de petits ou de gros éditeurs, il y a des collaborations fructueuses, enrichissantes, et d’autres qui le sont moins. Aujourd’hui, le monde de l’édition tend malheureusement à se déshumaniser, à l’image de la société dans son ensemble. L’atmosphère des grosses maisons d’édition s’apparente de plus en plus à celle, froide, des banques ou des assurances.
Le livre est devenu un produit comme un autre, l’auteur et l’illustrateur des fournisseurs. La logique purement commerciale a remplacé la motivation intellectuelle. Beaucoup le ressentent. Un confrère, illustrateur à Paris dans les années 1960, m’avait raconté qu’à cette époque le directeur en personne descendait pour le remercier lorsqu’il rendait une image. L’artiste, l’auteur était estimé, la création reconnue. Force est de constater que cette mentalité est révolue. Les directeurs artistiques ne sont souvent que des ombres que l’on croise au détour d’un couloir.
En revanche, les petites maisons d’éditions indépendantes, familiales, dont le fondateur est souvent un “militant” échappent encore à cet état de fait. L’échelle humaine permet un dialogue entre les différents collaborateurs. C’est le cas des “petits éditeurs bretons” avec qui on avance dans la confiance, l’amitié et bien sûr le sérieux. Les écrivains, les illustrateurs, les graphistes et l’éditeur travaillent de concert, ils donnent leurs avis, échangent des idées. Aucune rémunération avantageuse ne pourra jamais remplacer cela.
CB : Connais tu d’autres illustrateurs bretons que l’on pourrait qualifier de militants ?
MM : Un illustrateur breton se reconnait entre mille. Même lorsqu’il n’est pas militant au sens propre du terme, la Celtie, le mystère, imprègnent son œuvre. On peut donc dire que tout illustrateur breton est militant, à des degrés divers.
La série des personnages historiques de la Bretagne
CB : Tu travailles en ce moment sur une série de 12 illustrations représentant chacune un personnage historique, et tu viens de finir la deuxième de cette série. Peux-tu nous présenter les deux premières figures historiques que tu as choisies ?
« J’ai choisi de représenter le personnage sans doute le plus important de l’histoire bretonne : Nominoë, le Tad ar vro »
MM : Pour commencer cette série, j’ai choisi de représenter le personnage sans doute le plus important de l’histoire bretonne : Nominoë, le “Tad ar vro” et une duchesse peu connue : Ermengarde.
Princesse d’Anjou et duchesse de Bretagne par son mariage avec Alan Fergent, Bretonne de cœur, elle fut le symbole de la femme médiévale, forte et libre, administrant de façon admirable le Duché en l’absence de son époux parti à la croisade. Portée sur la spiritualité et admiratrice inconditionnelle de Bernard de Clairvaux, elle favorisa en Bretagne l’implantation des grandes abbayes cisterciennes. Il fallait lui rendre hommage !
CB : Qui seront les 10 autres personnages ?
MM : Tous les “grands” de l’histoire, mais également du mythe puisque l’esprit celtique n’a jamais mis de frontière entre le mythe et la réalité. Merlin, Morgane et Guenièvre seront présents aux côtés d’Arthur, de Conan Meriadec et d’Anne de Bretagne. Jeanne la Flamme, figure incontournable tout comme Sebastian Ar Balp et ses bonnets rouges seront également en bonne place. La Rouërie, héros de l’indépendance américaine ne pouvait pas non plus être absent. Il reste quelques noms à placer pour lesquels j’hésite encore. Je souhaiterais mettre autant de personnages féminins que masculins, tout en respectant l’histoire bien sûr.
CB : Comment choisis-tu de représenter les personnages en question, travailles-tu sur des documents historiques (gravures, peintures..) ou leur offres-tu un nouveau visage ?
« Qui sait à quoi ressemblait le roi Arthur ? (…) Sur mon illustration, Nominoë est jeune, il incarne la force et la gloire. En réalité, lors de la bataille qui l’a opposé aux Francs, il avait presque cinquante ans ! »
MM : Les personnages de l’antiquité et du Moyen-Age sont rarement décrits physiquement. Qui sait à quoi ressemblait le roi Arthur ? Les enluminures ne peuvent pas non plus être prises pour des références fiables. Donner le visage du modèle à un personnage est donc permis tout comme le représenter de façon archétypale. Sur mon illustration, Nominoë est jeune, il incarne la force et la gloire. En réalité, lors de la bataille qui l’a opposé aux Francs, il avait presque cinquante ans ! Je m’efforce juste de respecter les vêtements, les armes, la forme des boucliers, des casques… ne pas faire d’anachronismes dans la mesure du possible. Ermengarde, par exemple était une femme réputée pour son élégance. En revanche, lorsque des personnages ont une représentation connue parce qu’ils s’inscrivent dans une histoire récente, il faut bien évidemment “coller” aux portraits, gravures et autres descriptions.
CB : Disposes-tu de tous tes modèles pour les personnages à venir ? Où les gens intéressés peuvent t-ils te contacter ?
« Il reste bien une place de chevalier breton ou de bonnet rouge à distribuer à ceux qui le souhaitent. »
MM : Pour les principaux personnages, mon casting est terminé. Mais chaque image comportant de nombreuses figures, il doit bien rester une place de chevalier breton ou de bonnet rouge à distribuer ça et là ! Que ceux qui le souhaitent n’hésitent pas à me contacter.
CB : Pourquoi avoir fait une série sur des personnages historiques et non pas les légendes de Bretagne par exemple qui ciblerait un public potentiel plus large, est-ce un choix politique, et souhaiterai tu t’engager en politique par la suite ?
« L’histoire de Bretagne n’est que très peu connue des jeunes générations. (…) La politique est réductrice, l’engagement culturel transcende tous les clivages. »
MM : Si la mythologie est très importante, l’histoire l’est tout autant. Or, cette dernière n’est que très peu connue des jeunes générations, contrairement aux légendes celtiques dont les livres illustrés regorgent. La pédagogie passant forcément par l’image, mettre en œuvre cette série sur les personnages-clé de l’histoire bretonne me semblait donc essentiel. Plus que politique, c’est un choix culturel. La politique est réductrice, l’engagement culturel transcende tous les clivages. L’artiste doit d’ailleurs se limiter à ça. Son rôle n’est pas de changer le monde, mais de laisser une empreinte.
CB : Et pour conclure, d’une manière assez large quel regard portes-tu aujourd’hui sur la Bretagne, et comment la vois-tu dans quelques décennies ?
« L’élan culturel breton est à l’image d’un ruisseau. Il peut fort bien se transformer en torrent demain ou bien s’assécher et disparaître. »
MM : Concernant la Bretagne aujourd’hui, le dynamisme de sa culture est visible par tous. Le Bro Gozh connu de toute la France grâce à un énorme succès commercial, c’était impensable il y a seulement dix ans.
Mais qui peut dire ce qu’il en sera dans quelques décennies ? L’élan culturel breton est à l’image d’un ruisseau. Il est clair qu’il gagne en puissance aujourd’hui et peut fort bien se transformer en torrent demain. Ou bien s’assécher et disparaître, le cours de l’histoire a toujours été parfaitement imprévisible et plein de surprises. Qui vivra verra.
CB : Merci Marc, et on souhaite beaucoup de succès à cette série d’illustrations sur l’histoire de la Bretagne, Kenavo !
MM : Kenavo deoc’h
Petite liste des illustrations de Marc Mosnier.
Vous pouvez en voir plus sur le blog de Marc Mosnier.
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Gourc’hemennou. Ur mennozh brav eo tresan Ar Roueri.